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Christophe Apprill: Le tango argentin en France

Reseña de Ramón Pelinski

Paris: Anthropos, 1998.
Coll. Anthropologie de la danse, dirigée par Remi Hess.
180 pp, illustrations 1


Depuis quelques années il y a un renouveau de la littérature sur le tango. Des nouvelles perspectives se sont ouvertes particulièrement en ce qui concerne l'application de théories critiques et postcoloniales à la recherche d'une danse-chanson-musique qu'auparavant, sauf quelques exceptions- ne fut que l'objet du discours traditionnel des tangologues. Des ouvrages comme par exemple ceux de Marta E. Savigliano (1995) ou de Julie M. Taylor (1998) ont approffondi dans la compréhension du tango-danse en faisant appell à un discours dont les méandres réthoriques se trouvent en cohérence avec les trouvailles interprétatives.

Ces ouvrages montrent que les danses de couple, généralement dédaignés commes objets de recherche universitaire1 , peuvent supporter un investissement théorique et méthodologique à même titre que des objets 'plus préstigieux' de recherche, tels que la les danses folkloriques ou le ballet classique (Apprill 1998: 17). Ainsi, la recherche de la diffusion du tango argentin en France, laquelle - selon un registre privilégié par la tangologie traditionnelle, aurait pu colapser dans une simple collection d'anecdotes -, peut devenir une ethnographie soignée, éclairée par des concepts qui articulent la description et lui octroient du sens. C'est ce que M. Apprill offre dans l'ouvrage en question, sans avoir, d'ailleurs, l'ambition de poser des nouveaux jalons dans la tangologie.

Avec le regard tantôt eloigné tantôt proche d'un géographe-tangomane, l'auteur explore le retour du tango en France qui s'inscrit dans la vague de danses de couple depuis le début des années 1980. Ce retour invite à l'auteur à s'interroger sur le lieu des danses de couple dans la recherche en sciences sociales et le 'développement d'un espace critique autonome' pour rendre compte de 'la nature du lien social qui se tisse parmi les danseurs' (Ch. I). Une étude des lieux d'apprentissage et de pratique des danses de couple, montre que leur diversification (danses sportives, danses de salon, danses rétro, danses de société, etc ) répond à des motivations, des discours et des réalités géographiques différentes (Ch. II). Dans le IIIe chapitre voué au retour du tango en France, Apprill situe le tango parmi les danses de voyage "dont la spécificité s'est construite autour de déplacements géographiques s'accompagnant de mutations sociologiques qui ont eu un impact profond sur la nature, l'évolution voire la recomposition d'une danse." (p. 47) Cette nouvelle diffusion du tango (argentin) dansé en Europe à partir de la fin des années 80 se produit 'exclusivement' à travers la constitution d'un réseau urbain de sociabilité (p. 48), fondé sur le partage d'une manière de danser, l'appréciation du tango en tant qu'univers culturel, la construction d'identités de genre et des relations fortes, forcément sensuelles (p. 49), et la séparation stricte entre les écoles de danse et les associations de tango qui s'orientent exclusivement vers la pratique et la connaissance de la culture tango (p. 51).

Un bref récit de la diffusion du tango en France montre les liens de cette pratique musico-chorégraphique avec l'exile et la (sub)culture argentine à Paris. Vers les années 80, Julio Cortázar, le Cuarteto Cedrón, Juan José Mosalini, Piazzolla, le Sexteto Mayor, les Trottoirs de Buenos Aires et la revue Tango protagonisent la (re)emergence du tango-musique-chanson dans l'imaginaire parisien. De son côté, le renouveau du tango dansé aura son point de départ dans Tango argentino, un spectacle qui depuis sa présentation á Paris en 1983 a fait rage dans des différentes villes du monde.

La diffusion de la nouvelle mode tango a été rendu possible en France par la constitution d'un réseau associatif (Ch. IV), dont l'auteur discute les traits, les activités et les relations avec l'environnement culturel. Curieusement, la création et l'animation de ce résseau est dû, en général, à des "tangueros" d'origine européenne (Ch. V). Cette particularité amène l'auteur à faire des considérations sur la spécificité du tango argentin dansé, et sur les enjeux de son apprentissage dans un environnement aloculturel. En effet, "tout oppose le tango des danses enseignées par les écoles: la finalité, la sociabilité, les territories de pratique de d'apprentissage, la nature et la perception du mouvement et en définitive la fonction du couple dansant dans la société."(p. 130).

Le réseau de sociabilité du tango implique, a son tour, une mobilité qui "est constitutive de l'essence fondamentale de la culture tango imprégnée par la dimension du voyage" (p. 131) vers l'intérieur de soi-même, entre les associations françaises et européennes, et du voyage initiatique à Buenos Aires, "inévitable pour le tanguero" (Ch. VI).

Géographie oblige: l'auteur identifie les lieux du tango (Ch. VII) où le mythe porteño des trottoirs, du port, de la maison close, du faubourg, ou de la esquina - cède sa place en Europe à des espaces urbains centraux: la salle de bal, le plain air, la rue piétonne. Ici le tango, rendu visible, cherche de toucher et d'interpeller le public.

Dans le dernier chapitre, le plus dense de l'ouvrage, l'auteur considère que "la pratique du tango argentin se présente comme un lieu de débat et de questionnement sur les archétypes des genres, sur la solitude et les rapports de couple."(p. 149). La danse du tango est "une expérience de la transgression ritualisée" (p. 150), car le rapprochement des corps et l'intimité que s'en dégage, ont une limite certaine, signalisée par la cortina, - quelques mesures de musique d'un autre style qui signalent la fin d'une série da tangos (généralement trois). Pour reprendre une idée de l'esthétique kantienne, "La jouissance du tango est sans finalité puisque le passage à l'acte n'est pas un but ni une nécessité. Elle se suffit á elle même (...) Il y a plaisir sans sexualité et on peut danser avec plusieurs partenaires." (ibid.) Pour compredre le tango comme "métaphore de la reconstruction de l'identité des sexes", Apprill propose l'hypothèse selon laquelle le tango "par les qualités spécifiques qu'il exige (écoute active de la femme, guidage de l'homme à l'écoute de la partenaire), pose le débat des autonomies respectives de l'homme et de la femme à l'intérieur du mouvement" (pp.151-152). Le flux, intensément vécu, du mouvement dansé entre les deux partenaires, suggère la possibilité d'une relation profonde "basée à la fois sur une connexion des énergies, et une liberté d'ajustement des rôles, dont la finalité (...) [est] chercher une jouissance, qui demeure cependant circonscrite dans l'espace et le temps du tango" (p.152).

En some, le tango est mise en scène du désir, assignation sexuée, rapport à l'autre, construction des genres, séduction circonscrite par la danse (pp. 161-162).

Voici quelques suggestions critiques: Malgré que le livre se présente comme faisant partie d'une recherche en cours, il ne peut pas cacher certaines traces de hâte dans sa redaction. Elles se manifestent, par exemple, dans des noms mal écrits (Osvaldo et non Oswaldo, Piazzolla et non Piazzola), ou dans des indications de pages qui manquent après les citations. Qui est de plus, elles se manifestent dans l'absence de certains noms qui auraient pu aider à fonder plus solidement les propos du livre. A moins qu'en geste adamiste l'auteur préfère ignorer des concepts qui nourrissent la recherche courante sur les pratiques choréomusicales contemporaines, il aurait pu contraster (et peut-être enrichir) son discours avec les apportations d'autres disciplines. Ainsi, il aurait pu prendre en considération des points de vue de l'ethnomusicologie - par exemple ceux de Marc Slobin (1992) sur les musiques subculturelles -, ou bien la littérature sociologique argentine: des textes de Blas Matamoro (1982), de Salas (1989), et d'autres l'auraient empêché de faire des affirmations allègrement fantasieuses sur les origines du tango, telles que:

"La valse des italiens, mélangée au folklore des Argentins de la Pampa donne naissance à la milonga, puis au tango argentin, danse de migrants qui ont traversé l'Atlantique, et dont l'instrument fétiche, le bandonéon, est originaire d'Allemagne" (p. 5).

Pablo Vila (1995) lui aurait pu donner une main pour l'éclairer sur le rôle du tango dans la construction d'identités sociales en Argentine et sur les relations entre tango et folklore particulièrement à l'époque péroniste (voir Apprill pp. 51-55), et n'importe quel argentin résidant en France lui aurait pu donner des renseignements sur la durée des respectives (et peu respectables) dictatures en Argentine pendant les dernières quarante ans.

Quoique le tango soit une expression artistique (et même dirais-je une forme de vie) assez complèxe pour tomber dans la falacie reductioniste de vouloir le comprendre unidimensionellement, le traitement socio-anthropologique (et géographique) du tango oublie souvent le soustrat matériel du tango qui sont les mots, les pas et les sons. Il reçoit un traitement comme s'il n'avait pas des paroles (que de toute façon sont plûtot irrelevantes pour les danseurs en dehors du circle hispanoamericain), et presque toujours comme s'il n'avait pas de figures chorégraphiques ni de sons organisés dans un style particulier. Le chercheur s'occupe des rituels de performance, et des signifiés comme si les signifiants n'existaient pas. Pour en donner un exemple: Il semble pertinent se demander si la réthorique du silence qui préside la musique du tango est en relation avec le silence des danseurs et les arrêts du mouvement dansé; ou si le rubato du bandonéon n'a rien à voir avec le mouvement en extrème flexible de la danse...Même si ces traits matériels du tango n'étaient pas le cible de la recherche, l'auteur aurait pu se demander s'ils ont aussi voyagé et peut-être, après avoir été reintérpretés, s'ils ont participé dans la diffusion du tango argentin en France...

Ces quelques remarques critiques ne mettent pas en question la valeur de l'ouvrage de M. Apprill. En dépit de la portée reduite de son objet, Le tango argentin an France traite genereusement des problèmes rarement ou jamais soulevés par la tangologie officielle: La discussion du tango comme dance du voyage, des espaces du tango et son réseau de convivialité, du mouvement du tango dansé comme métaphore d'une médiation dans la rencontre des sexes, etc. sont autant des contributions appréciables pour une tangologie renouvelé. Des ouvrages comme celui-ci sont nécessaires pour savoir avec fondament et - peut-être un jour par comparaison - ce qui arrive à une musique quand elle part en voyage pour se mondialiser.

Ramón Pelinski Oxford, septembre 1998

1. Ce compte rendu a été originellement écrit pour la revue L'Homme, nº 150, 1999.


Bibliographie

  • Matamoro, Blas (1982) La ciudad del tango. Buenos Aires: Editorial Galerna.
  • Salas, Horacio (1989) Le Tango, Actes Sud.
  • Savigliano Marta E. (1995) Tango and the Political Economy of Passion. Boulder:Westview Press
  • Slobin, Marc (1993) Subcultural Sounds. Micromusics of the West. Hanover and London: Wesleyan University Press.
  • Taylor, Julie M. (1998) Paper Tangos. Public Planet Books.
  • Vila, Pablo (1995) "Le tango et les identités ethniques en Argentine." Dans R. Pelinski (ed.) Tango nomade. Montréal: Editions Triptyque.

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